Pendant des décennies, un discours dominant a imposé une vision unique de la réussite : celle qui passe par les études générales, les diplômes prestigieux et un travail derrière un bureau. Les métiers manuels, eux, ont été relégués au second plan, considérés comme des voies de garage pour ceux qui « n’avaient pas le choix ». Résultat ? Une génération entière a grandi avec l’idée que devenir plombier, menuisier ou mécanicien, c’était un échec. Aujourd’hui, nous nous retrouvons face aux conséquences directes de ce mépris : une pénurie de savoir-faire, une dépendance accrue aux importations, et une jeunesse souvent désorientée, bardée de diplômes mais incapable de fabriquer quoi que ce soit de ses mains.
Comment en est-on arrivé là ? Et surtout, comment peut-on inverser cette tendance ?
1. Le mépris des métiers manuels et ses conséquences
La dévalorisation des métiers manuels n’est pas un hasard. Elle est le fruit d’un narratif savamment construit par le système éducatif, les médias et les politiques publiques. Dès le plus jeune âge, on a inculqué aux enfants que la voie royale passait par le bac général, les grandes écoles et les diplômes académiques.
Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui, ceux qui possèdent un savoir-faire manuel rare gagnent très bien leur vie. Un bon plombier, un électricien compétent ou un menuisier qualifié a bien plus de travail que de temps disponible, et peut fixer ses tarifs. En revanche, des milliers de diplômés en sciences sociales, en communication ou en marketing peinent à trouver un emploi stable. L’offre et la demande parlent d’elles-mêmes.
Mais le problème va au-delà des salaires : il touche à l’équilibre même de notre société. Nous avons sacrifié une intelligence essentielle, celle du geste, au profit d’une illusion de progrès. En méprisant les artisans, nous avons perdu bien plus que des compétences techniques : nous avons perdu une partie de notre autonomie.
2. L’intelligence du geste : un savoir sous-estimé
Dans la nature, un animal sans instinct est condamné. Pour l’humain, les mains sont une extension directe de son intelligence. Savoir construire, réparer, fabriquer, c’est comprendre le monde d’une manière tangible. Or, la société moderne a tenté de nous faire croire que la seule intelligence qui comptait était celle des livres et des chiffres.
L’erreur fondamentale, c’est d’avoir opposé l’intellect et le manuel, comme si l’un excluait l’autre. Or, les artisans sont souvent des ingénieurs sans diplôme. Ils doivent comprendre la résistance des matériaux, la mécanique, l’électricité, la chimie, et résoudre des problèmes concrets au quotidien. L’intelligence ne se limite pas à la capacité de rédiger un mémoire : elle se manifeste aussi dans la précision d’un geste, la compréhension intuitive de la matière, la créativité appliquée à un travail concret.
En niant cette forme d’intelligence, nous avons créé une société fragile, dépendante, où peu de gens savent réellement subvenir à leurs propres besoins.
3. Les médias et l’éducation : architectes de cette dérive
Si cette tendance a perduré, c’est parce qu’elle a été entretenue par ceux qui façonnent l’opinion publique. Les médias ont construit un idéal où la réussite se mesure au prestige du titre et non à la valeur du travail. L’éducation nationale, elle, a suivi la même logique, en poussant les élèves vers des filières théoriques tout en reléguant les formations professionnelles au rang de solutions de secours.
Mais la vérité, c’est que cette hiérarchie des métiers n’a jamais été fondée sur le bon sens, mais sur des intérêts économiques. Une population dépendante, qui ne sait ni construire ni réparer, est une population qui consomme. Moins nous sommes capables de faire les choses par nous-mêmes, plus nous devons payer pour les obtenir.
Cependant, un changement est en cours. Grâce à Internet, des artisans et des autodidactes commencent à reprendre la parole. Des chaînes YouTube, des comptes Instagram, des blogs mettent en avant le savoir-faire manuel, la construction, l’autosuffisance. Mais encore faut-il faire le tri…
4. L’accès à l’information : un défi à double tranchant
Internet a permis de contourner les médias traditionnels, mais il a aussi ouvert la porte à une cacophonie d’informations. Entre les conseils d’experts, les gourous autoproclamés et les fake news, il devient difficile de distinguer le vrai du faux.
Ce problème n’est pas une fatalité, mais une nouvelle compétence à acquérir : l’esprit critique. Aujourd’hui, savoir chercher l’information, la croiser et l’expérimenter soi-même est devenu une nécessité. Il ne suffit plus de croire sur parole : il faut tester, observer, comparer.
En réalité, c’est une approche bien plus saine que le modèle ancien où nous gobions tout ce que les institutions nous racontaient. Mais cela demande du temps et un effort conscient.
Et au final, ce ne sont pas ceux qui réussissent le mieux socialement ou financièrement qui ont compris cette mécanique. Ceux qui sont les plus heureux, ceux qui vivent en paix avec eux-mêmes, sont ceux qui savent faire les deux : réfléchir et agir, comprendre et expérimenter, penser et créer. Tout le reste n’a pas tant d’importance que ça.
5. Comment inverser la tendance ?
La bonne nouvelle, c’est qu’un marketing qui a fonctionné dans un sens peut fonctionner dans l’autre. Si l’on a réussi à vendre le mythe du "bureau comme seule voie de réussite", on peut aussi redonner ses lettres de noblesse aux métiers manuels. Tout est une question de communication et de valorisation.
Quelques pistes concrètes :
Il est encore temps d’inverser la tendance, mais cela demande un changement de mentalité collectif. L’époque où l’on opposait "travail manuel" et "travail intellectuel" doit prendre fin. L’intelligence est une, et elle se manifeste autant dans la conception que dans l’exécution.
Le monde de demain appartiendra à ceux qui savent penser et faire. Ceux qui maîtrisent l’un sans l’autre seront condamnés à dépendre des autres. À nous de choisir de quel côté nous voulons être.
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